Arts textuels

Trois poèmes

EN TRAVAILLANT LA TERRE

Le vieux est là

Muet comme une souche

Il attend que le nuage passe

Ses outils sont comme des promesses

Un supplément de force

Malgré les années

Chaque muscle est à sa place

Pour faucher, bêcher, ratisser

Je regarde ma main

Pas un pli

La finesse des doigts qui ne trompe pas

Elle n’a donc servi à rien

Le vieux ne me le dit pas

Trop brave

Sa poigne montre l’exemple

Mes pas deviennent les siens

Je suis vite à la traîne

Sans un mot

Le voilà qui porte deux fois plus que moi

J’ai vu la ville de près

Ses fulgurances

Ses éclats mystiques

Ses passions au rabais

Rastignac du pauvre

J’ai croisé le fer avec elle

Ne blessant que moi-même

Le vieux n’a rien vu lui

Aucune lutte

Une simple ligne d’horizon

Des remparts de forêts sous un ciel vide

Il ne goûtera jamais à l’ennui qui élève

Aux délices de la foule

Son champ sera sa seule ivresse

Compagne sans reproche

Et pourtant lui en a palpé de la terre

Sué pour la rendre fertile

Son nom restera une empreinte 

Que laisserai-je dans le bitume ?

Des projets froissés

Des rêves léthargiques…

Au loin je vois des tours

Les murs se rapprochent

Que restera-t-il du vieux 

Quand même les arbres alentour seront maigres comme mes dix doigts ?





TIGANESTI


La campagne éteinte

La pluie claque 

Souffrent les arbres tordus et suppliants 

Dans une diagonale ridicule

Dernier sursaut de dignité

S’arrachent de leurs lits pour prendre leur envol

Les animaux aux regards fous 

S’exilent vers des déserts hypothétiques

Seule la terre exulte

Elle avale goulument

Une soif impossible à étancher

Au point que la Garla d’habitude plutôt calme et marron clair

Déborde d’agitation et devient couleur de pierre

Refluent à sa surface

Des cadavres de vélos rouillés

Des jouets déréglés

Les seules silhouettes perdues dans le lointain

Plongent dans la brume jusqu’à la taille

Commérages des feux de cheminée

Les fenêtres sont comme des écrans opaques

Ombres gesticulant d’une pièce à l’autre

Buées de soufre et de misère

Ce sont les verres qui claquent à présent

Un tintement continu

Parfois, des voix encore humaines remontent vers le ciel 

Et rencontrent l’écho du tonnerre

Les bancs en bois devant les portails sont vides

Leurs pieds sont rongés jusqu’à la moelle

Les mauvaises herbes s’y installent 

Se liquéfient les traces de pas

Les chiens errants boivent leurs empreintes

La forêt dévêtue dévisage impuissante

La vie se calfeutrer

Les rires se murer dans l’hiver




LE PIQUET


Apprendre oui

D'une bouche cruelle

Non merci

Ma tignasse était bien trop rebelle

Mon stylo dérapait

De la leçon

Il n'en avait que faire

Il préférait délirer

Sur la petite Audrey

Ou la Vanessa

Au choix

La Michelet s'en rendit compte

Au piquet et que ça saute

Le front collé à la peinture

Les mains noircies derrière le dos

Mes chefs-d’œuvre confisqués

Les camarades hilares

Audrey et ses yeux secs

La nuque définitive de Vanessa

Les bourrasques de la mère Michelet

Une heure, deux heures, trois parfois

À compter les fissures

Quand soudain

Un rayon s’égarait 

Réchauffait mon coin d’ombre

Comblait les blancs

Des gâteries d'un autre monde

Celui d'avant les lundis

Où les dimanches s'étiraient à l'infini

Les cerises en cascade

L'indigestion obligée

Les tentes dressées au milieu du jardin

Ma couche sous les étoiles aux côtés des copains

Nos flèches en pierre dans les carreaux du voisin

La Michelet tira aussi sec le rideau 

Fin de mes jeux interdits

Retour au mercredi

Au mur fraichement repeint 

Aux rires bêtes

Pleurant sur la lumière

Qui continuera sa route

Et moi je serai là

Captif 

Lorgnant du coin de l'œil

La mappemonde pour école buissonnière