Arts textuels

Je ne doute plus

Je ne doute plus,

Je suis parmi les vivants.

J’entends l’hymne et les cris

de la dictature,

extirper les sanglots de mon flanc.

                                                   Je ne doute plus,

                                                   je suis parmi les vivants,

et je voudrais ne serait-ce qu’un instant,

un instant de lumière,

me reposer,

sans bruit,

sous un soleil bleu,

dans l’espace inouï du ciel endormi,

                     pour de nouveau caresser tes yeux,

                      de mes larmes inassouvies.


Ne me demandez pas

Ne me demandez pas 

pourquoi,

à chaque vol d’oiseaux éreintés,

fuyant dans le ciel lunaire,

je touche du doigt

la beauté

et la volupté,

comme une petite mort lubrique.

Ne me demandez pas pourquoi,

lorsque je vous écoute,

je me sens 

dépouillée de mon écorce,

nue et blessée,

telle une éternité consumée.

Et quand je vous observe,

fantômes immuables,

devant vos écrans bleutés

chargés de propagandes obscènes,

ou d’illusions virtuoses,

je préfère me blottir,

                                 dans la réconfortante rhétorique de Chomsky.

Ne me demandez pas pourquoi,

quand je descends les plaines arides 

et dépeuplées de mon enfance,

mes larmes ont le goût

de la poussière et du chaos,

comme le souffle âcre du crépuscule.

                                                     La lune est triomphante ce soir !

                                                     Oscillante et gémissante,

                                                     ocre et nacrée,

                                                     Elle doit avoir le goût d’un sucre d’orge...

                                                     Vous ne croyez pas ?

                                  Je me sens lasse.

                                  Si lasse.

Par pitié ! 

Demandez-moi seulement

pourquoi la vie exhale

                                            les sens de l’envie,

                                            la douleur d’être aimée

                                            tapie dans la désuétude,

                                            la joie fugace et aveugle

                                            d’être suspendue dans le néant,

                                                                                             en attendant la fin.

Asile

Le garçon allongé sur son lit

N’espère plus la fuite

Il rêve de son corps

Il rêve de ses pieds

Qui ne foulent plus que le sol de l’hôpital

Il rêve de son ventre qui ne se tend plus de désir

Il rêve de son sexe amolli entre ses jambes

Il rêve de sa bouche désertée

Il rêve de ses mains flasques

Posées sur la peau douce de ses joues

Il rêve de ses jambes qui ne le portent presque plus

Il rêve de son dos douloureux sur le matelas dur

Il rêve de se lever

D’exploser d’une vie qui le fuit

Il fabrique des mondes horrifiques

Des animaux extraordinaires

Mais il reste là

Enfermé dans des rêves qui ne sont plus que des bribes

De son corps éclaté d’être enfermé


Et puis il y a des instants de grâce

Des moments de douceur qui se boivent à la paille

Le carré de terre où quelques marguerites

Luttent bravement

Contre les mégots et les crachats

L’arbre étrange 

Tordu comme nous tous ici

Dont le feuillage abrite les larmes

Ou les éclats de rire fous

La jolie infirmière

Qui ressent la pesanteur de mon enfermement

Et m’offre un monde bigarré

Lors d’une promenade dans le parc

Le guitariste muet

Qui massacre joyeusement des accords absurdes

Ses doigts longs s’accrochent aux cordes

Comme s’il y jouait sa vie

Une pluie soudaine, violente

Le beau garçon me prend la main

Et nous voilà partis pour une sarabande enfantine

Joyeuse, joueuse

Trempés jusqu’à l’âme nous hurlons de rire

Il n’y a pas que de la laideur à l’hôpital

Il y a trois amours

Qui viennent tous les jours me voir

Et je guette leurs minois adorables

À travers les barreaux de ma cage


Je partage ma chambre

Avec trois jeunes vieilles filles

Qui ont oublié 

La jouissance de vivre

Nous distillons notre souffrance

Comme une gnôle raffinée

C’est à celle qui souffrira le plus

On distingue la douleur de Katia

À la trace profonde sur son poignet

Un bracelet de mort qu’elle voudrait cacher

Mais tout hurle en elle : je ne veux plus

Elle se tait

Ses beaux yeux parlent

D’une vie qui s’échappe

Il y a aussi Marlene

Les commissures de ses lèvres forment des virgules

À l’envers

Elle n’a pas souri depuis l’apparition des premiers films comiques

Il y a bien sûr Katarina

La jeune vieille moustachue qui me pique mes clopes

Qui laisse sa merde sécher dans les chiottes

Et qui pleure parce qu’elle est tellement malade

Que les psychologues ne trouvent pas assez de qualificatifs

Pour la décrire

Il y a moi

Je me couche souvent en position fœtale

Et je rêve de cet ailleurs qui m’attend – un jour j’abandonnerai mes collègues de souffrance

Hubert le bossu

Joue avec ses excréments

Il façonne des personnages

Qui lui ressemblent

Un gros corps

Une petite tête

Et cette bosse de conte horrifique

Hubert le bossu est un entomologiste passionné

Il attrape délicatement l’insecte

L’examine sous toutes ses coutures

Et le croque comme un cornichon 

Hubert le bossu se promène souvent nu comme un ver

Il danse dans la lumière dorée du matin

Son minuscule pénis se balance au rythme de ses pas

Hubert le bossu est un artiste paysager

Il crée des montagnes et des plaines

Avec du fromage fondu

Sur les vitres de la cour

Hubert le bossu me fatigue

Et m’attendrit

Je touche sa bosse

Pour avoir enfin un peu de bonheur

La chair équivoque

Je t’aime, mais tu ne le sais pas.

Et je suis là,

là où,

les rues grouillent de glapissements

à en crever le bitume !

 

J’aperçois le voile de ton sourire,

me voler mon désir

et le fragmenter doucettement

dans la poussière nocturne.

Le temps s’arrête.

 

Et je pense à toi, tout bas.

Je tends ma joue

dans l’air duveteux

et ta main

effleure ma peau étoilée

comme le bruissement sourd du Zéphyr.

 

Je frissonne.

 

Alors, j’entends au loin,

une musique,

          le flottement ivre des chauves-souris,

          balayer le vent moqueur

                               et voler dans l’obscurité.

Il y a ceux

Il y a ceux qui…..

Il est des hommes au regard noir et grinçant,

qui traînent leur corps sur un désert d’écume,

comme des animaux galeux, perdus.

Courageux,

ils marchent sur des tapis d’épines acerbes,

à la lueur rougeâtre de la lune endormie.

Ils ont compris que rien n’avait d’importance ici-bas.

Ils ont compris la résignation.

Il y en a qui, avides d’un pouvoir funeste,

aux heures les plus viles de l’humanité,

parsèment leurs effluves pestilentielles,

pour nourrir les gémissements du mal.

Mais loin de la turpitude des hommes,

Moi,

je suis de ceux dont l’aube de la vie,

a rendu ivre d’une liberté cristalline.

Je flotte sur les rivages du vent à l’ombre de vos voix,

je parle aux oiseaux comme on caresse l’amour.

J’entends le soir,

le crépitement du lézard

se fondre dans l’oubli,

dans l’oubli.