Arts textuels

La chair équivoque

Je t’aime, mais tu ne le sais pas.

Et je suis là,

là où,

les rues grouillent de glapissements

à en crever le bitume !

 

J’aperçois le voile de ton sourire,

me voler mon désir

et le fragmenter doucettement

dans la poussière nocturne.

Le temps s’arrête.

 

Et je pense à toi, tout bas.

Je tends ma joue

dans l’air duveteux

et ta main

effleure ma peau étoilée

comme le bruissement sourd du Zéphyr.

 

Je frissonne.

 

Alors, j’entends au loin,

une musique,

          le flottement ivre des chauves-souris,

          balayer le vent moqueur

                               et voler dans l’obscurité.

Il y a ceux

Il y a ceux qui…..

Il est des hommes au regard noir et grinçant,

qui traînent leur corps sur un désert d’écume,

comme des animaux galeux, perdus.

Courageux,

ils marchent sur des tapis d’épines acerbes,

à la lueur rougeâtre de la lune endormie.

Ils ont compris que rien n’avait d’importance ici-bas.

Ils ont compris la résignation.

Il y en a qui, avides d’un pouvoir funeste,

aux heures les plus viles de l’humanité,

parsèment leurs effluves pestilentielles,

pour nourrir les gémissements du mal.

Mais loin de la turpitude des hommes,

Moi,

je suis de ceux dont l’aube de la vie,

a rendu ivre d’une liberté cristalline.

Je flotte sur les rivages du vent à l’ombre de vos voix,

je parle aux oiseaux comme on caresse l’amour.

J’entends le soir,

le crépitement du lézard

se fondre dans l’oubli,

dans l’oubli.

Âmes endormies

Les planches de bois abritaient nos souvenirs,

Nos pleurs, 

Nos joies, 

Nos amours, 

Mais surtout nos rires,

Des heures durant lesquelles nous étions ensemble,

Seulement entre nous, 

Comme des âmes introuvables.

Nos sourires embellissaient la pluie,

Le soleil dorait nos journées angoissantes,

L'orage illuminait nos cris,

La nuit rendait les lois transparentes.

Nous n'avions pas peur de nous quitter,

Comme un tour de magie,

Rattrapé par la vie,

Ils ont mal agi,

Nous étions démunis,

Ils nous ont quittés sans rien nous laisser. 

M

De ce grand rectangle d’herbe, je suis au centre. Entre deux doigts, j’attrape un brin d’herbe. Je lève la main le plus haut possible, je le laisse partir. C’est beaucoup d’air qui le déplace et de toutes les portes qui entourent ce rectangle, c’est la numéro six qu’il vise et qu’il touche. Et le vent frais traverse mon bonnet, il touche la peau de ma tête, un frais si froid, si gelé que ma peau craquera d’une cassure, qu’elle se décollera de par sa glace. Alors je marche vers le six le plus vite possible et j’appuie sur une touche, en face de la lettre M. De mes oreilles j’entends un claquement, suivi d’un son, d’un bruit de silence, un bruit d’une certaine couleur. Il  y a une voix dans ce bruit, elle murmure très bas :

Toute porte est de verre.

Cette phrase, je l’ai entendue des milliers de fois, toujours de la même voix, toujours prononcée par M. Comment savoir, comment seulement comprendre. J’entre comme toujours, pour arriver devant son appartement. Je cogne six fois du poing sur le bois de la porte, une porte qu’aucun œil ne peut percer. Il n’y a aucune réponse, ça veut dire de ne pas partir ; le silence, ça veut dire d’entrer. Et dedans, il y a une chambre. Toujours, je reste une heure sans y aller, jamais je ne reste moins, et c’est au bout de cette heure que j’y vais. Parfois je trouve le lit vide, aujourd’hui j’y vois M, qui n’a aucun mouvement. Et moi, je voudrais lui demander, lui poser une simple question, une seule toute petite question, une question pour M l’immobile, pour M le bloc de pierre :

Est-ce que l’on se verra ?

Une question c’est une réponse. Ne l’ai-je pas entendue, parce que je n’entends plus rien du tout, mais je claque des mains le plus faiblement du monde, pour savoir, et rien que ça je l’entends. Rien d’autre à écouter, rien qui viendrait de M. Je me retourne et je compte faire des pas, jusqu’à sortir de cette chambre, j’en ferai mille, entre chaque pas j’attendrai une minute entière. J’en fais un seul, car juste avant le deuxième, je fais demi-tour en une fraction de temps. M est debout, avec peut-être un sourire, pas vraiment un sourire, presque rien, et même rien du tout, rien que du visage. Je sais qu’il y a un dessin de bouche, mais comment savoir, puisque de ce visage je ne sais rien, puisque je ne peux pas dire.

Chacun face à l’autre, M face à moi, M qui tord tant ses lèvres. Finalement je sors, je cours les escaliers, je traverse l’intérieur, je fends les couloirs de ma vitesse. Je retrouve l’air froid, et je pourrais attendre ici, dehors, le temps qu’il faut pour mourir gelé. Mais comment faire ça devant M, qui est déjà là, au milieu du rectangle d’herbe, dont le visage est si tendre. Elle tient, au milieu de son poing, un brin d’herbe qu’elle vient de lâcher. Il fonce vers moi, d’une seconde à l’autre il me tranchera la peau, il m’attaquera jusqu’au sang. Mais il tombe juste devant mes pieds, il ne laisse aucune blessure.

Ma chère M, que tu es douce.

Je le dis si fort et tu as si bien entendu que tu ne réponds rien. Tu préfères rester avec tout ton visage. Et tes pieds sont enfoncés dans la terre, tes pieds sont sous le sol, tes genoux ne sentent plus l’air, et comme ça je te vois, bloquée que tu es par la terre, et ta peau de glace.

C’était il y a si longtemps et maintenant j’y suis encore, je suis revenu, pour une seule chose, pour pousser la porte de verre, pour me tenir de son côté chaud, sur mes deux seuls pieds. C’est la seule porte que je connaisse, c’est la numéro six, c’est celle-ci. Je ne peux pas être plus proche, je n’en ai jamais traversé d’autres, elle s’ouvre et se ferme et à travers cette porte je vois une bosse de terre au plein milieu des herbes.

Paranoïa couleur mat

Daniel Gaumond - Gagnant du concours Été 2021, catégorie Arts textuels

j’me tiens la queue entre les jambes les fesses serrées la queue entre les fesses serrées comme quand j’étais p’tit pis que je disais regarde sarah (la sœur) moi aussi j’ai une vulve sauf que la dinette est finie c’est le soir et les loups sont sortis sur les trottoirs les ruelles les débarcadères s’érodent en dernière chance pile ou face à face je dois me dépêcher à rentrer faire attention sans me l’attirer sans lever les yeux maquillés rivés au sol où j’mets les pieds pour éviter seringues et mines de rien ce sont toujours les plus dangereuses un pied devant l’autre je presse le parodique me donne des airs qui sonnent faux comme un chaperon déguisé le revers du conte qui ne finira pas bien je me fais tout p’tit tout presque rien sans faire de bruit mais la neige ou mes os craquent sous chacun de mes pas et les lampadaires m’accusent de ne pas savoir où me mettre alors je dévie d’un trottoir à l’autre de l’itinéraire tracé par le père et de google maps qui ne prévoit jamais les nids-de-poule ni les combats de coqs il avait raison mon orientation finira par me perdre mais en attendant je me fraie un chemin à travers l’effroi hivernal qui transperce mes cuisses mes chevilles je dois tenir bon me tenir droit mais surtout straight comme un loup accoutumé à la vie sauvage sauver les apparences trompeuses et avancer malgré tout le poids de la neige de la honte qui s’accumule sur mon dos courbé devant chaque passant passible de mort (la mienne) il suffit d’un regard un faux mouvement qui sera la goutte de trop tatouée sur le coin de l’œil tandis que les coins d’ombre regorgent de carnivores qui veulent ma peau ce soir il n’y a aucune une en vue que du masculin pluriel car on sait que la nuit leur appartient à ces loups qui rôdent et attendent les mains dans les poches je cache l’offense à portée de main chaque doigt verni est un doigt d’honneur à cette espèce qui est la mienne par défaut de naissance car on ne noircit pas ses griffes lorsqu’on appartient à la race carnassière et je voudrais bien m’y soustraire me déserter le corps mais le genre ne peut rien contre le nombre donc je continue tête basse tête première dans la nuit sans repos où les somnambules sont facilement contrariés par ce qui ne leur ressemble pas et je frôle au passage les pierres tombales de mes semblables mes adelphes qui ont emprunté ce chemin de non-retour les yeux fardés de beurre noir et le rouge des lèvres causé par la fente le bris des dents du verre éclaté car le miroir ne renvoie pas toujours à ce qu’il devrait et le visage se change plus souvent par un poing que par le bistouri tout ça parce qu’iels ne voulaient pas rebrousser chemin retrouver celui du placard malgré le grognement sourd et refoulé des encagés qui traquent les libertés auxquelles ils n’ont pas eu droit et leurs squelettes tremblent sous mes pieds et les pleurs enterrés m’implorent de ne pas céder à la peur de ne pas reculer si on veut faire avancer les choses bien que je me demande encore si le surplace n’est pas préférable au sous terre mais je me garde de juger ces innocent∙e∙s qui l’ont été de croire que le monde s’adoucirait un peu entretemps n’est-ce pas que je me rends parfois chez eux de mon propre gré tire la chevillette prends-moi en levrette sans considérer la menace le danger qui pourrait se cacher dans la gueule du loup lorsque ce n’est pas plutôt lui qui emplit la mienne de sa bave blanche et visqueuse avant de rentrer chez moi sale et comblé le besoin d’avoir atteint ce qu’on attendait de moi avec un arrière-gout de satisfaction étrangère alors comment expliquer que je craigne à présent cette bête qui s’en vient vers moi à sens inverse à une vitesse excessive seulement cent cinquante mètres nous séparent et j’anticipe déjà l’accrochage la collision le constat pas amiable que je n’aurais jamais dû me retrouver là ici maintenant né et mort dans le fossé des abject∙e∙s perdu∙e∙s avant de devenir un chiffre de plus sur une statistique jamais prise en compte plutôt car mieux vaut les régler entre nous que vingt-cinq mètres à franchir pour parvenir de l’autre côté et je pense soudainement très fort à sarah et à papa même s’il ne pense plus à moi depuis que l’homme est homme et non pas autre chose tandis que celui-ci me sourit un peu trop de ses crocs trop blancs et j’ignore s’il veut me faire du mal ou bien s’il branle de la queue parce qu’il a reconnu la mienne alors je m’efforce de sourire en retour sans établir le eye contact qui pourrait en initier d’autres car sa mâchoire pourrait bien m’écraser me broyer comme la pelle mécanique des déneigeuses qui ont oublié de passer tandis que mes pieds s’enfoncent dans la neige mouvante qui ralentit ma démarche comme dans un mauvais rêve où je ne peux pas courir mais seulement le dépasser lentement en espérant que sa faim n’est pas aussi meurtrière que celle de son expression et je m’assure de cacher ma transgression mon crime mat sur mes mains maculées car tout ce qui n’est pas blanc est un drapeau ennemi une déclaration de guerre ou pire un consentement tacite à me faire dévorer la carcasse que j’abime à force de frotter mes pieds sur l’asphalte givré jusqu’à le semer (enfin) et respirer à nouveau mais jamais tout à fait jamais bien longtemps car les poumons se gardent toujours assez d’air au cas où il faut courir prendre la fuite sans se pisser dessus alors je retiens mon souffle comme un funambule sur son fil d’ariane jusqu’à chez moi en me demandant à chaque fois si ce sera la dernière