Arts textuels

Charpente Pleine Conscience

Geneviève LAGACÉ - Gagnante du concours Été 2020, catégorie Arts textuels

Dans la buée de la fenêtre, je trace la première lettre de ton prénom. Un G. Croche, tordu, discordant. À ton image, il bave sur ma peau, laissant derrière lui une longue traînée de brûlures et des excuses comme des miroirs vides. Dehors, les arbres s’enragent. Les volets claquent. La maison pleure des larmes de goudron et j’essaie d’assourdir son cri, écho insoutenable que me réverbèrent nos souvenirs. En vain.

Entre ces murs défraîchis, je ne tourne pas rond. J’efface ton initiale de mon poing fermé, tremblant. La bouilloire siffle. Je sursaute.

sur une poche

de thé millénaire j’imagine

tes yeux fondre dans

l’eau ardente

Comme des mobiles au-dessus de ma tête, nos spectres dansent. Ils surveillent mon regard qui s’attarde à cette fissure près de la bibliothèque du salon. Celle que tu n’as jamais voulu colmater et qui suinte du temps qui passe comme une écharde. Plus j’y pense, plus je me souviens avoir maintes fois souhaité y mettre le feu; et à cette vieille baraque de bois sec, de bois mort, de papier peint hideux. Mais je n’ai nulle part où aller pour panser mes plaies. Alors, je reste. Je reste, je pense, je trace la première lettre de ton prénom dans toutes nos fenêtres, je l’efface et je compte les mouches affolées par les bourrasques qui s’intensifient; par la pluie qui se métamorphose, qui joue au marteau piqueur sur le toit de tôle, frappe à mon sternum.

Toctoctoctoctoctoctoctoc.

Je n’ouvrirai pas. Tu m’étouffes.

Je dépose ma tasse sur la table basse et m’enroule au creux du fauteuil. Paupières lourdes, paupières closes, scellées, noircies. Le tonnerre gronde. Des éclairs fendent les nuages de glaise, teintent mes veines.

Derrière la bibliothèque, le mur craque, le temps suinte.

Encore.

Source: https://images.pexels.com/photos/761529/pe...

Faux-semblants

Je ne vais pas mentir : je suis heureuse. Je suis arrivée à Manchester-by-the-Sea hier. Il fait beau, le soleil est trop chaud et les gens sourient beaucoup. Moi aussi, je souris. Je parle en anglais avec une voix qui n’est pas la mienne, c’est peut-être les États-Unis qui la transforment. Elle est plus aigüe, comme soulagée de tout le poids habituel, comme s’il était permis de croire, ici, que tout est encore possible, que tout est encore à faire.

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Les jambes de coton

Après le drame, Sophie était restée seule dans la maison au bord du lac malgré les réticences du voisinage et de la parenté, malgré les supplications de son fils unique, qui voulait qu’elle s’en vienne vivre avec lui à New York. Come on, mom, je t’achèterai un condo dans Manhattan. Tu te feras une vie nouvelle, tu iras au concert, à l’opéra, au théâtre. Elle n’avait pas voulu partir.

Elle tenait à faire la paix avec le lac. Ce voleur d’homme.

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Coudées franches

j’ai tout appris

la mise à mort de la bonne élève
l’extinction des filles de famille

maintenant je peux
prendre les malades sous ma veste
atteindre ce succès inespéré : finir pauvre

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