Arts textuels

Si je devais partir

Si je devais partir,

ce serait pour écumer tous tes sarcasmes,

sous ma langue sableuse.

Si je devais partir,

j’inventerais le chant des abeilles,

pour balayer ton mépris.

Si je devais partir,

je m’envelopperais d’un manteau de nuit,

pour me baigner dans tes yeux,

et fuir le silence.

Si je devais partir,

je nouerais mes blessures autour de ton cou,

comme on enflamme un brasier d’amertume.

                                                 Ô, j’aimerais tant partir !

                                                 Partir, pour ne plus te désirer.

Et si je devais rester,

injustement rester,

                                                 je dresserais les ailes du désespoir,

                                                 devant l’horizon de tes songes,

                                                                                 pour ne plus jamais pleurer.

Éden lointain

Sur les ruines du monde que nous imaginions

à la renverse

je saigne la pitance

que tu as toujours refusée

l'aura d'une danse

qui nous perdit

 

il a fallu que tu ruines tout

de nos écritures,

de notre histoire,

de nos prières

la clarté

d'une quête

à laquelle nous ne comprenions rien

 

Scindés,

répétant le même schéma

inlassablement

 

de nos désaccords

 

nous avons dû accepter nos regards démêlés

le silence d'un chemin dénué de lumière

sur les ruines du monde que nous imaginions

 

il faudrait que tu ruines tout

du sablier aux ridules,

au temps qui passe

qui dissipe

les souvenirs

d'une jeunesse perdue

de possibilités illusoires

mirages parmi rêves valises

trop lourdes à traîner, à trimbaler

sur les ruines du monde que nous imaginions

 

il faut que tu ruines tout

nos espoirs comme nos dés

espoirs à jeter dans le vide

Applaudissez en masse les machines autonomes

 

Emportez le souffle corsé

de cœurs envoûtés

derniers échantillons d'humanité

sur les ruines du monde que nous imaginions

 

il faudra que tu ruines tout

sans hésitation

sans main qui tremble

d’un incendie pur et sourd

livrant éveil et soupir

aux âmes en demande

de renaissance

 

que s'effondrent désormais

les merveilles et les fausses idoles

qui dansent à l'aveugle

sans honte et sans pudeur

sur les ruines d'un monde que nous imaginions

PENDANT QUE ÇA RÉDUIT

une cocotte de bines au four

250 degrés fahrenheit

7 heures

en haut

le voisin de deux ans et demi, infatigable, échappe en boucle une bille qui fait trois bonds

poc poc poc

ici

la laveuse à linge brasse des vêtements à côté du frigo

 

en haut

le voisin botté galope aller-retour le corridor

 

ici

tu laves la vaisselle à la main, bruit de chaudron et d’ustensiles qui se percutent sous l’eau

 

en haut

la voisine parle fort, son enfant crie

 

ici           

tu sors la balayeuse après trois jours à faire des remarques à propos de la poussière

 

ce mélange de bruits

seul le timbre continue de la balayeuse arrive à me le faire oublier

silence nouveau genre

il agit comme une sourdine sur la vie qui nous entoure

je savoure presque cet instant de brouhaha

l’odeur qui se dégage du four

tes déplacements dans la pièce

la ventilation au-dessus de la cuisinière

la laveuse qui essore maintenant les vêtements

 

ça fait des mois que je n’ai plus de patience pour notre appartement

et ces battements au-dessus de nous

je me sens faiblir en dessous de ce qu’est la vie

des pas d’enfants, des cris, des rires

que du beau qui entre par effraction

 

je les trouve intrusifs

je me trouve capricieuse

 

même la musique n’arrive pas à enterrer les vibrations du plafond

des secousses sur les murs

tous les cadres sursautent en synchronicité avec moi

 

je suis un cadre

 

aujourd’hui

on décroche tout de sur les murs

on met en boîte des objets

livres

sculptures

jeux

pinceaux

revues

souvenirs en tout genre

on emboîte les dix dernières années de nos vies

en quelques heures

dans quelques boîtes

 

les tiroirs se creusent de l’intérieur

ça rend jalouses les milliers de boîtes qui s’emplissent

ça me fait angoisser

toutes ces babioles

je les conserve pour éviter de prendre des décisions

ça embrouille mon bonheur

j’empile tout ça comme des promesses

à remettre à plus tard

 

comment ralentir le réveil des objets?

 

le four pousse sa chaleur aux bines

qui, collées les unes contre les autres, s’amollissent dans un jus sucré

 

pendant que dehors

la chaleur stimule goutte à goutte la fonte

ces mêmes rayons

tranquillement

brûlent mon air grincheux

 

j’ai 4 ans et demi

et je ne veux pas partager mon jouet

 

je garde tous ces bidules inutiles

sans comprendre qu’avec eux

je bouge moins naturellement

 

chacun de ces objets est sous ma responsabilité

silencieux

sur mes épaules

chacun d’eux existe

et me rappelle que je ne suis plus

une enfant

Pays des fourmis

Mes oreilles hurleraient

si elles le pouvaient

je mâche une gomme

une gomme Excel

à la menthe

je regarde par le hublot

je retrouve bientôt ma famille

des gens que je côtoie

depuis ma naissance

des fourmis

fourmis avec un accent

que je ne comprends plus

que je ne connais plus

 

Le tissu imprègne tout

les autres passagers

détournent le regard

je veux

changer

 

 

de direction


À l'aube de mes nuits

Baignée par des rivières insondables,

où ruissellent encore mes blessures,

blessures d’une enfance défragmentée,

je perçois encore

le reflet de ces visages grotesques, 

qui dansent comme des vautours.

                                                 Il m’arrive d’entendre au loin,

                                                 loin derrière les rives asséchées,                                          

la musique de Tchaïkovski,

ivre et difforme,

comme une image opaque imbibée d’alcool.

 

Et seuls,

 

à travers l’immensité du vide,

des nuages en fleurs,

bambins joufflus,

me sourient et crapahutent,

sur des fontaines d’étoiles.

 

Je voudrais les toucher mais mes mains tremblent et meurent...

 

                                         Et il y a aussi,

                                            parfois,

quand le silence expire,

dans chaque rêve sauvage

qui égrène mes nuits,

cette respiration haletante,

qui prend des airs,

de cheval moribond.

Oui,

ma souffrance est partout,

parmi les nuages de plomb,

parmi les forêts aux multiples visages,

parmi les flots titubants des herbes folles,

                                                        et dans chaque soubresaut des vagues,

                                                        qui résonnent dans mes veines.